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Cosmic Care : Genèse d'un projet artistique européen

02/07/2024

[FR] A podcast to read and listen to in French. by La Zankà


Il est 7 h 30 du matin. Notre avion doit être à dix kilomètres d'altitude. A bord de cet avion, Zineb Benzekri et Jérémy Morelle. Nous sommes deux artistes en route vers une résidence du réseau IN SITU (UN)COMMON SPACES. Notre destination : la Hongrie. Notre contact : Fanny Nanay, directrice du festival PLACCC. Le projet : Cosmic  Care. Un spectacle en espace public sur lequel nous sommes au tout début de l'écriture. Lorsque nous arrivons à Budapest, nos objectifs sont multiples. Rencontrer Fanny et sa structure, avancer l'écriture du projet Cosmic Care, prendre la température du pays car nous sommes en février. Et surtout prendre des bains.




Le projet Cosmic Care est né de l'envie de Zineb de prendre soin et de reconstruire des pans entiers de sa vie suite à des changements majeurs dans sa sphère intime et suite au monde post COVID, dans lequel chacun et chacune tentait de trouver des nouveaux repères.



Zineb est franco marocaine. Au Maroc, le hammam est une institution à la croisée de l'intime, du social, du soin, du rituel. C'est un lieu obligatoire pour tous qui est chargé d'une multitude de significations, de symboles et de souvenirs. Le projet Cosmic Care est né ici. Au chaud. Au milieu des volutes de vapeur, dans cet espace hors du temps qui vous invite au relâchement et à s'occuper de vous et de vos proches. Et c'est ce mouvement de "s'occuper de". De "porter attention à" qui relie le hammam, à cette notion du Care. Nous allions donc être attentifs à ces endroits de bains. C'étaient nos portes d'entrée, nos portails. Et nous allions le découvrir en partant à Budapest.

Budapest est située sur des failles géologiques. Une partie de l'énergie du noyau de la Terre qui est de la lave en fusion remonte et chauffe l'eau juste sous Budapest. Quand l'eau sort, elle est chaude et elle sent le soufre. Les Budapesti ont bien compris l'intérêt de cette énergie cosmique et bienfaisante qui jaillit sous leurs pieds. La ville est constellée de bains publics. Les habitants de Budapest viennent régulièrement s'immerger dans ces eaux aux multiples vertus. Du hammam aux bains hongrois. Nous sommes ici pour ça. Être en création nécessite parfois des détours, ce qui pourrait sembler une perte de temps et souvent un passage obligé dans une expérience qui va conditionner et orienter les choix de notre recherche artistique. Du hammam aux bains hongrois, le lien peut sembler ténu. Prendre des bains? Why? Pourquoi? Sans le savoir, nous allions découvrir que cette porte d'entrée allait nous indiquer la méthode de création de cette pièce et que cette méthode allait se nourrir de notre expérience à Budapest. C'est la force du réseau IN SITU que de placer les artistes dans des contextes qui leur permettent de questionner eux mêmes leurs pratiques.


Prendre des bains à Budapest semble être une activité triviale et c'est en plongeant dans l'expérience qui nous était offerte que nous allions découvrir des nécessités sous jacentes de notre recherche qui s'imposaient à nous. Budapest devient un territoire de création, un réservoir de nourriture intellectuelle, de sons, d'images. Fanny est notre boussole. Elle nous lance dans le vif du sujet, nous plante le contexte hongrois et nous envoie prendre des bains. Nous baignons littéralement dans cette réalité hongroise qui nous questionne sur nos pratiques artistiques, sur notre relation au monde et notre condition d'artiste français.

Au cours de ce voyage, nous allons croiser l'œuvre de Andreï Tarkovski et une de ses œuvres emblématiques Stalker. Film de 163 minutes créé en 1979. Un film qui s'impose à nous par son évidence, par son choc esthétique et symbolique. Comment parler du "care", cette notion à côté du soin qui consiste à porter attention à nos vulnérabilités? Comment retracer par nos expériences cette découverte d'un territoire qui construit le monde de demain et s'occupe de nos devenirs fragile? Nous rencontrons Adam, le citoyens associé [du projet (UN)COMMON SPACES d'IN SITU].

Et nous discutons longuement de Budapest, des bains, du projet Cosmic Care, de sa vie. Adam avait cette phrase très forte qui nous marquera "Je suis à la face B de ma vie". Réparation. Care. Budapest.


Dès les premiers bains, c'est la panique. Notre caméra, que nous avions prévue pour être hydrophobe et résistante à l'eau, se révèle être plus fragile que prévue et cesse de fonctionner après avoir pris un bain. Eva, une des artistes du réseau IN SITU, nous rencontre à ce moment de crise et nous aide à surmonter cette étape. C'est un moment de vulnérabilité extrême et il aura fallu toute la patience d'Eva pour nous aider à passer le cap. Budapest et son métro. ses escalators. cette rythmique. Nous sommes en pleine recherche et les escalators hongrois emmènent notre mémoire sonore vers des moments sombres de l'histoire, comme en écho à la situation politique hongroise. Alors que nous enchaînons bain sur bain tous les jours, Adam nous propose de nous emmener avec lui faire une expérience authentique de Budapesti dans un bain non touristique. Effectivement, les bains où il nous emmène sont pour nous la confirmation que ces lieux magiques sont conviviaux et nécessaires et génèrent des ressourcement multiples. Mais l'expérience des bains a un prix. S'immerger dans l'expérience aquatique jour après jour nous laisse soudain exsangue de toute énergie. Plus rien. Nous ressortons des bains exténués. Nous n'arrivons plus à travailler. C'est de cette absence. De ce vide qu'une des grandes certitudes du projet Cosmic Care est née : celle d'offrir au public un moment expérientiel dans lequel tous les choix seraient possibles. Un Cosmic Choice. Fragilité. Vulnérabilité. Expérience. Les jalons sont posés d'un projet en devenir qui se nourrit du réel traversé à Budapest par toutes ces rencontres, tous ces lieux, toutes ces présences bienveillantes à nos côtés. Notre prochaine destination, le Norwich & Norfolk Festival.